Chapitre 12Les étapes du débat
La présentation d’une motion
Un député amorce le processus de débat à la Chambre en proposant une motion. Lorsqu’un avis de motion a été donné, le Président commence par vérifier si le député désire bien présenter sa motion. Si le parrain d’une motion choisit de ne pas la présenter (soit en étant absent221, soit en refusant simplement de la présenter222), la motion est rayée du Feuilleton à moins que le gouvernement ne demande qu’elle y reste inscrite223. Si le parrain désire aller de l’avant et le signale au Président par un signe de tête affirmatif, ce dernier vérifie si la motion est appuyée. Toutes les motions présentées à la Chambre doivent être appuyées224 ; s’il n’y a pas d’appuyeur, le Président ne propose pas la question à la Chambre et aucune inscription à ce sujet ne figurera dans les Journaux, car la Chambre n’en est pas saisie225. Tout député peut agir comme appuyeur, même pour les motions du gouvernement qui ne peuvent être présentées que par des ministres226. Si l’appuyeur cesse d’exercer ses fonctions de député après la présentation en bonne et due forme de la motion, celle-ci demeure recevable227. Une motion peut être présentée et appuyée, mais la Chambre n’en est pas véritablement saisie et elle ne peut en débattre tant qu’elle n’a pas été présentée (c’est-à-dire que le Président n’en a pas donné lecture)228.
La présentation d’une motion n’exigeant pas d’avis vient normalement clore l’intervention dont elle fait partie229. Avant d’accorder la parole à un autre député aux fins du débat, le Président demande d’abord s’il y a un appuyeur230. Le cas échéant, et après réception de la motion par écrit et vérification de la recevabilité de la motion sur le plan de la procédure, le Président donne lecture de la motion, la proposant ainsi à la Chambre.
L’exigence que la motion soit présentée par écrit s’applique à toutes les motions, qu’elles exigent un préavis ou non, de même qu’aux amendements et sous-amendements présentés à la Chambre et en comités. À la Chambre, lorsqu’un avis de motion a été transmis, l’exigence que la motion soit présentée par écrit est automatiquement satisfaite, puisque le texte de la motion paraît dans le Feuilleton. Dans tous les cas où la motion ne paraît pas dans le Feuilleton ou n’a pas été publiée et distribuée aux députés, le Président doit recevoir une copie écrite de la motion pour la proposer à la Chambre avant le débat. Le député doit également signer le texte de la motion.
Avant de lire une motion à la Chambre, le Président veille au respect de la procédure. Il s’assure donc qu’on a satisfait à l’exigence, le cas échéant, quant à l’avis ; que le libellé de la motion correspond à l’avis ; et que celle-ci ne contient pas de termes inacceptables. Si une partie de la motion est irrecevable, l’ensemble de la motion le devient231. S’il considère que la forme ne convient pas, le Président a l’autorité voulue pour modifier la motion afin de la rendre conforme à l’usage de la Chambre232, ce qui se fait habituellement avec l’approbation du motionnaire233. Si une motion est jugée irrecevable, le député intéressé peut la présenter de nouveau après y avoir apporté les corrections nécessaires et avoir respecté les exigences quant à l’avis. On considère alors qu’il s’agit d’une nouvelle motion.
Lorsqu’il déclare une motion irrecevable, le Président informe la Chambre de ses motifs et cite l’article du Règlement ou le texte faisant autorité en l’espèce234. La motion n’est pas proposée à la Chambre et est rayée du Feuilleton.
Si la motion est recevable, qu’elle a été présentée et appuyée, le Président en saisit la Chambre. Une fois que le Président a lu la motion dans les termes choisis par le motionnaire, la Chambre en est saisie officiellement. Chaque motion considérée comme recevable et proposée par la présidence est inscrite dans les Journaux (voir la figure 12.2, « Présentation d’une motion »).
Selon le Règlement de la Chambre, le Président doit donner lecture de la motion en anglais et en français (ou la lire dans une langue et charger le Greffier de la lire dans l’autre, s’il n’est pas bilingue)235. Cependant, une telle exigence n’a plus de raison d’être compte tenu de l’interprétation simultanée à la Chambre236. De même, l’exigence prévoyant la lecture intégrale de toutes les motions est régulièrement levée, en particulier dans le cas des motions longues, compte tenu de la disponibilité immédiate du texte de la motion dans les deux langues officielles dans le Feuilleton ou Feuilleton des avis. Le Président lit alors les quelques premiers mots et demande s’il peut « être dispensé de la lecture de la motion », ce à quoi les députés répondent habituellement par l’affirmative237. Lorsqu’une motion ne figure pas dans le Feuilleton et qu’elle n’a été ni publiée ni distribuée, les députés peuvent demander à n’importe quel moment en cours de débat que le Président lise la question à haute voix, dans la mesure cependant où cela n’interrompt pas un député s’exprimant sur le sujet238.
Après qu’une motion a été proposée à la Chambre, le Président donne d’abord la parole au motionnaire. S’il décide de ne pas parler, le motionnaire est néanmoins réputé avoir parlé (on considère qu’en faisant un signe de tête affirmatif, le député a dit « je propose », ce qui équivaut à une intervention dans le débat239). Le député qui appuie une motion n’est pas obligé d’intervenir sur le sujet à ce moment, mais il peut le faire plus tard au cours du débat. La seule exception à cette règle se produit pendant le débat sur l’Adresse en réponse au discours du Trône ; selon l’usage, l’appuyeur prend la parole immédiatement après le motionnaire240.
La règle interdisant d’anticiper
À une certaine époque, la présentation d’une motion était assujettie à la « règle interdisant d’anticiper », qui n’est plus strictement observée. D’après cette règle, qui s’appliquait également à d’autres travaux, une motion ne pouvait anticiper sur une affaire inscrite au Feuilleton, qu’il s’agisse d’un projet de loi ou d’une motion, et s’inscrivant dans une démarche plus opportune241. Par exemple, un projet de loi ou tout autre article de l’Ordre du jour est plus opportun qu’une motion, laquelle a priorité par rapport à un amendement, lequel est plus opportun qu’une question écrite ou orale. En autorisant une telle motion, on pourrait effectivement retarder ou bloquer une décision à l’égard d’une affaire déjà inscrite au Feuilleton.
Alors que l’interdiction d’anticiper fait partie du Règlement de la Chambre des communes britannique, cela n’a jamais été le cas à la Chambre des communes canadienne. En outre, les mentions des tentatives faites pour appliquer cette règle britannique à la pratique canadienne ne sont pas concluantes242.
La règle découle du principe qui interdit de décider deux fois de la même question dans la même session. Toutefois, elle ne s’applique pas aux motions ou projets de loi similaires ou identiques qui sont inscrits au Feuilleton des avis avant d’être mis en délibération243. La règle interdisant d’anticiper entre en jeu uniquement lorsqu’on examine l’une des deux motions similaires inscrites au Feuilleton244. Par exemple, deux projets de loi portant sur le même sujet peuvent être inscrits au Feuilleton, mais un seul sera débattu. Si on rend une décision sur le premier (par exemple qu’on rejette le projet de loi ou qu’on lui fait franchir une étape du processus législatif), on ne peut aller de l’avant avec le second. Si on retire le premier (du consentement unanime, souvent après que le débat a commencé), on peut aller de l’avant avec le second. On peut soulever une objection lorsque la présidence propose la seconde motion dans la mesure où la première a déjà été proposée à la Chambre et est devenue un point à l’Ordre du jour.
On a cependant admis une exception dans le cas d’une motion de l’opposition présentée un jour des subsides et portant sur le sujet d’un projet de loi déjà soumis à la Chambre. En temps normal, le Président refuserait la motion parce qu’elle doit céder le pas à un projet de loi. Néanmoins, le Président a déterminé que l’opposition avait une plus grande latitude un jour désigné, latitude qu’il n’y avait pas lieu d’entamer sauf pour des raisons de procédure des plus évidentes et des plus impérieuses245.
À une certaine époque, les députés ne pouvaient non plus, pendant la période des questions, poser une question qui anticipait sur un point à l’Ordre du jour ; on voulait ainsi éviter que le temps de la Chambre ne serve à l’examen de questions devant être examinées plus tard au cours de la séance246. En 1975, on a assoupli la règle dans les cas où le sujet figurant à l’Ordre du jour était soit le débat sur le budget, soit celui sur l’Adresse en réponse au discours du Trône, sous réserve que les questions à cet égard n’occupent pas toute la période des questions247. En 1983, le Président a établi que les questions liées à une motion de l’opposition présentée un jour des subsides pouvaient également être posées pendant la période des questions248. En 1997, dans un rapport à la Chambre, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a recommandé que les questions ne soient pas déclarées irrecevables pour ce seul motif249. Par la suite, le Président a informé la Chambre qu’il suivrait le conseil du Comité250.
Le retrait d’une motion
Une fois qu’une motion a été proposée par le Président, la Chambre en est saisie et peut en débattre. Un député qui a présenté une motion peut demander qu’on la retire, mais cela ne se fait qu’avec le consentement unanime de la Chambre251. Si personne ne s’oppose, le Président déclare la motion retirée et une inscription à cet effet est entrée dans les Journaux. Toute motion ainsi retirée peut être de nouveau mise en avis et présentée à une date ultérieure252 ; elle sera alors traitée comme une nouvelle motion. Le député qui propose un amendement ou un sous-amendement peut de la même façon demander le consentement pour effectuer leur retrait253.
Un député peut demander le consentement unanime pour modifier ou remplacer une motion, un amendement ou un sous-amendement254, à condition que la Chambre ne soit pas déjà saisie d’un amendement ou d’un sous-amendement à leur égard. Des députés ont aussi obtenu le consentement de la Chambre pour le retrait de motions (ou d’amendements) présentées par d’autres députés255.
Étant donné qu’un « retrait » a pour effet de supprimer une motion pour laquelle on a ordonné l’examen (comme dans le cas des projets de loi en attente de la deuxième lecture), il faut d’abord révoquer cet ordre de la Chambre256. La Chambre doit donc consentir et à la révocation de l’ordre, et au retrait de l’affaire en question.
La division d’une motion
Lorsqu’on présente à la Chambre une motion complexe (par exemple une motion contenant deux parties ou davantage, chacune pouvant constituer une motion distincte), le Président a le pouvoir de la modifier afin de faciliter le processus décisionnel de la Chambre. Un député qui s’oppose à une motion contenant deux propositions distinctes ou davantage peut demander que la motion soit divisée et que chaque proposition fasse l’objet d’un débat et d’un vote. Toutefois, la décision finale revient à la présidence. Sur une question semblable, le Président a déclaré que la pratique consistant à diviser les motions de fond n’avait jamais été étendue aux projets de loi et que la présidence n’était pas habilitée à prendre de telles mesures257.
La question de la division d’une motion complexe a fait surface à au moins six reprises au sein de la Chambre. En 1964, on a divisé et reformulé un avis de motion du gouvernement lorsque le Président a constaté que la motion contenait deux propositions que de nombreux députés ne voulaient pas étudier simultanément258. En 1966, le Président n’a pas acquiescé à une demande semblable et a déclaré qu’il ne pouvait prendre une telle décision de sa propre initiative que dans des circonstances exceptionnelles259. En 1991, comme on avait réclamé la division d’une motion traitant de modifications proposées au Règlement, le Président a tenu des discussions avec les dirigeants des trois partis à la Chambre, puis a décidé que la motion serait divisée en trois parties aux fins du vote, outre les paragraphes portant sur l’entrée en vigueur de la motion260. En 2002, comme on s’était opposé à une motion complexe visant le rétablissement des Affaires émanant du gouvernement, le Président a décidé de diviser la motion en deux motions distinctes, dont la première a de nouveau été scindée en deux aux fins de la mise aux voix261. En 2006, du consentement unanime de la Chambre, le Président s’est vu conférer le pouvoir de diviser tout amendement à une motion portant sur les amendements apportés par le Sénat à un projet de loi émanant du gouvernement aux fins de la mise aux voix, après consultation avec les partis262. En 2013, le Président a ordonné qu’une partie d’une motion du gouvernement fasse l’objet d’un vote distinct alors qu’il avait accepté que la motion soit débattue telle quelle263. En 2017, on a modifié le Règlement pour conférer au Président, dans le cas d’un projet de loi émanant du gouvernement visant à modifier, à abroger ou à édicter plus d’une loi, et où le projet de loi n’a aucun fil directeur ou porte sur des sujets qui n’ont rien en commun les uns avec les autres, le pouvoir de diviser les questions, aux fins du vote, sur toute motion tendant à la deuxième lecture et au renvoi à un comité et à la troisième lecture et à l’adoption du projet de loi. Le Président peut combiner des articles du projet de loi thématiquement et mettre aux voix les questions susmentionnées sur chacun de ces groupes d’articles séparément, pourvu qu’un seul débat soit tenu pour chaque étape264.